“You and I in a little toy shop. ”

Je suis né le matin. Je sais pas si il existe une polémique ou une théorie ou quoi que ce soit sur comment l’heure de votre naissance affecte votre vie, mais si ça existe, je vous jure qu’à côté de matin il serait mis « deviendra un gros con ». Et aussi que si ma mère l’avait su, elle aurait serré les cuisses jusqu’à ce que la petite aiguille passe la barre de midi. J’aurais vachement préféré naître l’après-midi, parce que peut-être qu’avoir quelques heures de moins m’aurait permis de vivre moins d’angoisse. C’est pas beaucoup, quelques heures. Qui sait, peut-être que ça aurait permis au fœtus que j’étais de crever dans son utérus, et ça aurait épargné du mal à beaucoup de monde. Mais non, je suis né le matin. Et dix mois plus tard, et quelques heures parce que c’était l’après-midi, j’ai eu un petit frère. Je suis certain que c’est ça que ça veut dire, naître l’après-midi. Être un gars cool, pas torturé pour un bal, joyeux et entreprenant. Comme mon frère. Mais ça, évidemment, je l’ai pas sucé de mon pouce. Il m’a fallu longtemps avant de réaliser que c’était moi le maillon faible de notre famille. On est des riches new-yorkais, vous voyez ? La réputation, le luxe – et la luxure – on connaît. Ce que moi j’ai kiffé pendant toute ma vie, parce que dès mon plus jeune âge, je n’avais qu’à claquer des doigts et j’avais ce que je voulais. Ce qui est très con, c’est que mon frère et moi on n’avait même pas un an d’écart. Et comme je suis né en début d’année, mon frère est né en fin d’année. Donc il avait beau être le petit de la famille, on était dans la même classe. Et donc il était facile pour moi de le faire passer pour le loser. Évidemment, je n’ai jamais joué comme ça. Mon frère, c’était tout ce que j’avais pour survivre à la pression que nos parents nous mettaient. C’est toujours la personne la plus précieuse que j’ai. Je pense souvent à lui et à comment il en a plus rien à foutre de ma gueule, maintenant. Mais les explications viendraient plus tard.

Nous deux, on était juste inséparable. C’est con à dire. On avait cinq ans et on apprenait déjà à lire, ouais, école élitiste oblige, mais nous on avait autre chose à faire que ça. « t’paries que je le fais plus vite que toi. » il avait son air malicieux, mais c’était pas possible. Il ne m’intimiderait pas comme ça. « T’pas chiche. Il y a pas plus rapide que moi. Mon chrono c’est douze secondes. Teste-moi. » C’était ma première mise au défi. Je regardais mon petit frère. Nous étions en uniforme dans notre énorme école de l’Upper East Side et ce petit con s’est levé alors qu’on faisait la sieste, a enlevé sa veste et sa chemise et a commencé a courir. Le but, c’était de faire le tour de la classe le plus vite, torse nu. La maîtresse n’aurait pas pu paraître plus exaspérée. Par contre, étonnée, ça, elle ne l’était pas. Elle savait comment on était, ensemble, tous les deux. Elle levait juste les yeux au ciel, plus jamais elle ne nous courrait après en essayant de nous arrêter – tout ce que ça changerait, ça serait qu’on accélère et qu’on batte un nouveau record. Mes yeux vacillaient entre ma montre digitale et mon petit frère qui rigolait encore plus fort que tous nos condisciples, réveillés, rassemblés. Il me topa dans la main. « pff trop naze frérot, tu t’es plus ridiculisé qu’aut’chose. Vingt-trois secondes. » Et alors que la maîtresse se dirigeait déjà vers le tableau des points avec son feutre rouge pour nous pénaliser, mon petit frère se rassit à côté de moi et, d’un air espiègle, me glissa à l’oreille une petite phrase. « ouaip’, je ferais mieux la prochaine fois. » On pouffait tous les deux de rire.

Et c’est comme ça que s’est déroulée toute notre enfance. Nous étions toujours tous les deux, on partageait les mêmes amis, les mêmes délires. Il était le premier à savoir comment s’était passée ma journée – du moins pour les rares moments où on n’était pas ensemble – et la réciproque était vraie. Mais tout comme les dix mois que j’avais de plus que lui, j’avais toujours aussi une longueur d’avance sur lui. J’étais son Dieu et lui il était mon bras droit, c’était comme ça. Cependant, nous partagions tout, comme les deux meilleurs amis du monde. J’étais le premier à expérimenter tout un tas de choses, et lui me suivait à chaque fois. Nous poursuivions cependant un cursus brillant, avec un maximum de A sur nos bulletins scolaires, et parfois un « + » qui en accompagnait l’un ou l’autre. Nos résultats se valaient. La seule chose que je n’ai jamais partagée avec lui, c’était Thomas. Thomas c’est pas un gars, non, pas du tout. C’est peut-être un prénom d’homme, mais c’est comme ça dans sa famille : les pères redonnent à leur premier enfant leur propre prénom. Damn, c’était la première fois depuis cinq générations que ce n’était pas un gars. C’est assez triste en fait de se dire que son père, à Thomas, donc Thomas Senior, la considérait comme un garçon. Elle avait les cheveux courts et jouait au Lacrosse avec nous. Cependant, dans les soirées mondaines et tous les brunchs auxquels nous assistions depuis toujours du même siège, je pense être le seul qui l’ait toujours, sans aucune question, vue comme une fille, une vraie. C’était déjà mon crush. Je l’ai aimée aux premiers regards qu’on s’est échangés, j’en suis sûr, et même si j’avais que quelques mois et qu’elle venait à peine de naître, je savais déjà qu’elle allait finir par devenir divinement bonne. J’étais tellement fan d’elle que j’obligeais mon petit frère à l’éviter un maximum. Eux deux ne pouvaient pas se fréquenter, c’était comme ça. J’avais commencé quand j’avais quatre ans en lui racontant que c’était une sorcière et que si ils passaient du temps ensemble elle finirait par le bouffer, puis plus tard je me trouvais toujours des excuses. J’aurais pas du faire ça, mais bon, c’est juste une parenthèse. J’étais un bête gamin, à l’époque, c’est pardonnable. « J’te jure, pourquoi tu me files pas Action Man ? J’aime pas les barbies, c’est un truc pour les filles... » « Ben ouais, et toi t’es pas un poulet hein. »

“ I know I said my heart beats for you. I was lying girl, it beats for two. ”

L’adolescence est arrivée et, avec elle, tout un lot de grosses conneries. Mais on était jeunes et insouciants, tous les trois. Quoi que je peux pas dire qu’on formait un trio, non, on formait plutôt deux duos. Moi et mon frère, puis moi et Thomas. Ces deux-là, quand ils se croisaient, ils se disaient à peine bonjour. Pas qu’ils ne s’apprécient pas, non, mais, je sais pas. Depuis qu’on était gosse, je voulais jamais les voir ensemble, et j’avais l’impression que c’était assez bien passé dans leur esprit, alors du coup ils ne passaient jamais de temps ensemble. C’était facile. Je n’avais pas trop de mal à gérer mon horaire, pourtant. Quand je passais la journée avec Thom, je passais la nuit avec mon frère, et vice-versa. Je ne me prenais jamais trop la tête. On faisait beaucoup la fête entre frères, et puis avec Thomas on faisait des autres trucs. Genre, quand on avait dix ans, on testait de voir comment on faisait pour embrasser avec la langue, et tout ça. Mais après, on était juste amis, hein. Faut pas s’imaginer n’importe quoi. Puis un jour, il a fallu que je me rende à l’évidence. « Azy Terry, ça fait une semaine que tu me dis qu’on se fait un tournoi de Fifa ce soir, et puis que dalle. Tu fais chier à la fin, la Playstation elle prend la poussière là ! » On avait seize ans. Enfin, moi j’en avais seize et lui il en avait que quinze, puis Thomas en avait seize aussi, c’était l’été donc elle avait fêté son anniversaire. J’ai ébouriffé ses cheveux et coincé une cigarette entre mes lèvres – ça faisait rager maman mais tant pis pour elle. « Désolée gars, demain promis, mais là j’ai un truc prévu avec Thomas. » Il m’a regardé en râlant, il savait bien que le lendemain encore je serais pas là. « Ouais c’ça, demain dans trois ans quand elle t’aura plaqué parce que t’es qu’un con qui tient pas ses promesses. » Je me suis marré en rajustant le col de ma veste en cuir. On sortait pas ensemble, il le savait bien, nan, Thomas c’était mon copilote, elle me présentait ses copines et nous arrangeait le coup pour être sûre que je puisse tremper mon biscuit un maximum. Sauf que, en fait, je crois bien que je commençais à bien la kiffer, genre… Plus qu’avant. Je crois que c’est là que j’ai réalisé que j’étais bel et bien amoureux d’elle.

« Tu savais que ta mère couchait avec mon père ? » Je me suis tordu dans une drôle de position, raidi par ce qu’elle venait de me dire. C’était son anniversaire de dix-sept ans et on était allongés sur son lit, qui était dans sa chambre, juste à côté de la chambre de son père, où se trouvait le lit de son père et où, apparemment, ma mère – toujours mariée ou mien, de père – avait élu domicile pour certaines nuits. Ma mère se faisait baiser par le père de ma copine. C’était… « Glauque. » Je lui caressais les cheveux. Ils étaient blonds, maintenant, enfin, comme toujours. Mais là, on voyait à quel point ils étaient beaux étant donné qu’ils étaient longs, très longs, bien plus que quand son père ordonnait à sa coiffeuse de les lui couper au bol, quand on était gamins. Mince, aux formes naissantes d’une adolescente sportive, elle était parfaite, tout comme moi. On formait un couple nickel. On portait aussi bien le costume trois pièces du brunch du dimanche que les tenues trash et délurées des nuits de folies qu’on passait dans nos soirées à Brooklyn. On était des ados de la nuit, enfin, surtout moi. Et elle, elle me suivait, forcément, pour être sûr que je ne sois pas en train de la tromper. Bien sûr que non, je ne la trompais pas. Quand je n’étais pas avec elle, j’étais avec mon frère, qui prenait un malin plaisir à me piquer toutes les filles juste quand elles étaient prêtes à me laisser les toucher. « C’est pour ton bien », qu’il me disait, « t’es presque marié maintenant. » Il prenait un malin plaisir à se taper un maximum de filles. Mais il faut dire que c’était devenu un sacré beau gosse et que les kilos de drogues qu’on prenait par toutes les voies possibles – intraveineuses y compris – n’aidaient pas à l’inhiber. Et rien de mieux pour faire passer la coke du vendredi soir qu’un cocktail Mimosa au petit-déjeuner du samedi, déjeuner en famille. Qui unissait déjà les Solton-Routh aux parents de Thomas, depuis toujours, comme si on était fait pour s’unir entre nous. Et ça, apparemment, ma mère l’avait assez bien compris.

« Mais, tu vas aller où ? » « Je sais pas. Saint-Barth, peut-être. Loin. » « Et tu reviens quand ? » Elle déposa son sac qui était à moitié plein – ou à moitié vide pour les positifs d’entre nous – et soupira. Ses cheveux étaient tout en bataille, comme si elle ne s’était pas coiffée, ou comme si elle avait agité sa tête dans tous les sens. « Je sais pas, bordel. C’est pas à toi de poser les questions, d’accord ? C’est toi qui es en tort. » « Mais putain tu me reproches quoi, à la fin ? » Elle a sorti un soutard de je sais pas où. Un truc rose en dentelle, avec du noir, un truc vachement sexy. Ah ouais, merde. Elle a compris à ma mine déconfite que je n’essayerais même pas de nier. « Non mais j’étais défoncé, s’il te plait, pars pas… » « Si c’est parce que t’étais défoncé alors t’entendras plus parler de moi jusqu’à ce que tu sortes de ce putain de Texas avec un certificat qui prouve que t’es clean et que tu toucheras même plus à la beuh. » Elle a claqué la porte. J’ai shooté dans la poubelle. Fait chier.

“ it all keeps adding up, i think i'm cracking up. ”

Il était deux heures du matin. L’été après la terminale. Fin du mois d’Août. Mon frère était tout stressé, c’était la rentrée pour la fac. On déchirait toujours à l’école, mais on avait décidé de rester ensemble à New-York et d’aller à NYC, parce que c’était quand même une université assez bonne et que notre pedigree vaudrait mieux que n’importe quel nom de collège sur nos curriculum vitae. Forcément, on avait été acceptés. Mais moi, j’étais pas le gars qui révisais encore ses cours à deux heures du mat’, angoissé par l’entrée en confrérie, par comment je serais vu sur le campus. Ça, s’était mon frère. Moi, j’étais celui qui cherchait après un billet d’un dollar pour m’improviser une paille et me tirer une dernière ligne de coke. Ça allait faire deux mois que Thomas était portée disparue. Enfin, pour moi, je veux dire. Elle s’était cassée à Saint Barth et les photos sur son blog, il y en avait. Ça me rendait fou qu’elle puisse s’être cassée comme ça. Elle le savait que c’était mon âme sœur, elle le savait peut-être même mieux que moi. On n’était pas ce genre de personnes qui se connaissaient depuis toujours et qui s’étaient mises ensemble par obligation familiale ou juste parce que ça paraissait bien. Nope, c’était pas nous. On avait beau toujours s’être connus, on avait beau avoir la bénédiction de la planète entière, on était réellement amoureux. Faits l’un pour l’autre. On n’était pas monotone, rien du tout. On passait énormément de temps à faire la fête, mais je ne cessais de lui prouver combien je l’aimais. Puis elle était partie. C’était la plus grosse des douleurs à endurer, alors forcément je m’allégeais un peu de mes souffrances en m’auto-médicant avec des produits totalement illégaux. Par contre, un truc que j’avais commencé, c’était la grève du sexe. Parce que j’en avais plus envie et que, quand bien même je me forçais, mon corps me disait non de la façon la plus gênante qu’il soit. En plus de m’avoir arraché le cœur, Thomas m’avait arraché les couilles et ça faisait mal. Et tous les détails de ma vie sentimentale, je n’arrêtais pas de les raconter à mon petit frère. Lui, il s’inquiétait pour moi, mine de rien. Même si il avait du mal à me faire passer ce qu’il ressentait. Lui, il était du genre à m’engueuler quand j’allais pas bien, et d’habitude ça marchait plutôt bien quand c’était à propos d’un entraînement de Lacrosse qui tournait à la baston ou quand j’ai reçu la lettre qui disait que je m’étais fait recaler à Harvard et pas lui – même si on ne voulait de toute manière pas y aller, ça m’avait fait un coup. Mais cette fois ci, c’était à propos de Thomas, et pas le genre de sujet pour lequel il pourrait me remonter le moral. Ça faisait maintenant cinq minutes qu’il me gueulait de me ressaisir, je venais de vomir, j’avais bu trop de Vodka et j’avais pris une énorme dose de MDMA. J’en pouvais plus. J’étais défoncé. Il me cassait les couilles. A un moment, il a prononcé le prénom de Thomas et j’ai pas pu me retenir de partir en couille, parce que ça m’a énormément saoulé. « Putain fais pas chier, dégage une bonne fois pour toutes tu m’aides pas en parlant d’elle. Cte connasse elle est même pas assez intelligente que pour avoir un prénom potable. » J’ai senti moins de chaleur sur mon dos, ce qui voulait dire qu’il avait ôté sa main, et pis sûrement qu’il avait tergiversé, mais là j’étais trop occupé à me vider les tripes que pour m’en rendre compte. Ah, pour situer dans le temps, on était rentrés à la fac trois mois plus tôt, donc c’était les vacances de Noël, ou un peu avant, genre.

Pis quand Noël à sonné, on était tous autour du sapin avec nos parents. Juste tous les quatre ; on avait l’habitude de le faire avec la famille de Thomas, mais comme elle ne voulait plus me voir et que mon père avait appris que sa femme se faisait troncher par le père de Thomas, il avait décidé de les bannir de notre maison. Enfin, seulement le père, mais Noël est une fête de famille. Et apparemment, j’étais pas la famille de Thomas, au contraire de tout ce qu’elle avait pu me dire sur comment j’étais la personne qu’elle choisirait si elle ne pouvait en sauver qu’une seule, comme quoi moi je l’avais déjà sauvée, sauvée de la solitude, blablabla. C’était déjà un Noël assez merdique et je m’étais enfilé une bouteille de Dom Pé’ à moi tout seul rien qu’à l’apéro, alors à l’heure d’ouvrir les cadeaux j’étais encore plus bourré que les pères Noëls qu’on croise devant les magasins de jouets du Bronx. Par contre, y a un truc qui m’a pas échappé, c’est quand mon frère a huggé ma mère en disant que c’était tout ce dont il avait toujours rêvé. « Attend, un semestre à Paris ? Bonne blague ! » Je rigolais tout seul. Lui il a pas rigolé. C’est vrai qu’on était un peu en froid pour le moment. J’ai arrêté de rire et j’ai ouvert mon cadeau. C’était une nouvelle voiture, mais j’étais pas satisfait.

Plus tard dans la soirée, alors que j’étais mal au point, couché sur mon lit, en train de digérer tout ce que j’avais pu boire – et j’avais plus bu que mangé, croyez-moi – il est rentré dans ma chambre. « Ce dont t’as toujours rêvé hein ouais ? Je croyais que ton rêve c’était un duplex avec portier sur la cinquième. » « Et moi je pensais que c’était la Audi R8 Spider, mais t’as pas l’air si content que ça de la recevoir. » Il me lança les clés sur le bide, j’ai eu un haut le cœur. « Tu les avais oubliées dans le divan. » Il m’a fait un sourire forcé, un peu gêné quand même, puis a fait mine de partir, mais avant de passer la porte je l’ai clairement vu s’agripper à la charpente et se taper légèrement la tête dessus. « Tsé Terry, t’es imbuvable pour le moment. Tu l’as toujours été pour les autres, mais si c’est moi qui le pense, c’est que c’est l’moment de te poser des questions. J’pars demain matin en fait, je savais que j’allais recevoir ça, mes valises sont déjà expatriées. » Je me suis tenu le bide. Je crois que je réalisais pas. « Je t’enverrais les sous-vêtements des jolies françaises qui se seront perdues chez moi, si tu veux. » J’en ai jamais reçu. Et j’ai plus jamais vu mon frère depuis lors, parce que à Paris il s’est trouvé un nouveau « mode de vie » et qu’il a décidé de tourner dans toutes les facs européennes à chaque semestre. Il est à Madrid pour le moment, il a fait Bruxelles il y a deux ans, je pense. Il a plus jamais remis les pieds à New-York, et tout ce à quoi j’ai droit, ce sont des cartes postales aux fêtes, même pas un coup de fil.

“ and i've asked so many girls for a bit of glue, but i still need you. ”

Et maintenant où j’en suis, je sais vraiment pas. On est le quinze juin 2011, je me fais péter le bouchon de la bouteille de champagne. Tout seul dans mon duplex d’immeuble avec portier de la cinquième. Bon anniversaire Thomas, ça fait tout pile cinq ans que tu m’as arraché le cœur. Je dis pas que j’ai pas essayé de m’en remettre hein, je suis sorti, j’ai fait la teuf, j’ai essayé de rencontrer des filles. Il y en avait aucune pour t’arriver à la cheville, c’est bien ça le fond du problème. C’est incompréhensible, ce genre de truc, jusqu’au jour où tu le vis. Et quand tu comprends, tu fais officiellement partie de la confrérie des cœurs brisés, plus nombreux qu’on peut le croire mais tellement discrets qu’ils ne le montrent pas. Ceux qui pourront toujours tout faire pour essayer d’y remédier, t’as beau tester t’y arrives pas. Je l’ai vue, il y a deux ans, Thomas. En face de chez moi, elle faisait du shopping dans un magasin de bébés de luxe avec une poussette et son père. Je suis sûr qu’il lui a dit que j’habitais ici, mais elle aurait pas même pensé à venir me dire bonjour. Elle m’avait dit qu’elle reviendrait quand je serais clean, et elle est pas revenue. Pourtant elle doit le savoir, mon certificat de « je prends plus de drogues depuis plus de quatre ans, maintenant » est sur facebook, je suis taggé dessus. Je fume même plus de clope. Après que mon frère soit parti, je me suis rendu compte que je n’avais plus rien à prouver à personne, étant donné que mes deux plus récentes pertes étaient les seuls êtres humains auxquels j’avais jamais eu envie de prouver quoi que ce soit. Je sais pas, j’ai eu un déclic. « le » déclic. Genre, t’es lancé dans tes études alors fais-les à fond. Après mes quatre ans en fac de biochimie, j’ai décidé de me plonger dans ma thèse, un doctorat, rien que ça, tfaçon les études c’est tout ce que j’aime, je suis callé en la matière, c’est le seul truc où je peux encore me surpasser. Je parle pas aux gens, à la fac. Je parle à très peu de gens, en fait. J’ai pas de réel ami, juste quelques connaissances qui répondent toujours présent quand je propose de leur payer un vieux Bourbon hors de prix au bar de n’importe quel hôtel luxueux de New York. La Jet7, j’en fais toujours partie, mais là-bas on m’appelle « le fantôme », car même si ma trace est ineffaçable, ils ne me voient jamais nulle part. C’est pas des amis, ces gens-là. Je ne fais que errer et, parfois, je me paye des putes de luxe, c’est tout.

dexter solton-routh a écrit:

Meeeerci

Ah mais Cas', Dexter a sensiblement changé et n'a plus du tout rien à voir avec ce qu'il était dans sa jeunesse donc faudra continuer à lire pour voir si il y a quelque chose à en retirer